Un couple en béton
De loin, on ne voit qu’une bulle, un cercle fermé, un anneau qui emprisonne. Puis l’on peut voir un instant un vaisseau spatial, comme dans une fête foraine. Trois secondes après, on identifie une colonne de béton qui pourrait évacuer des tonnes d’eau d’un lac artificiel. Où sommes-nous ? Difficile de trancher entre la campagne et le terrain vague du quartier.
En regardant cette photo sans autre ouverture, si ce n’est quelques branchages arrière et une lumière de printemps, on se dit que c’est le début du tunnel.
La paroi est lisse et froide dans le dos, donc on ne s’y adosse pas. Ce n’est ni un lit ni une plage !
Regardez-nous, disent-ils.
Regardez comme nous nous donnons à voir unis.
Comment se donner à l’autre aimé dans une image qui frappera le voyeur ?
On a trouvé une canalisation abandonnée le long d’une carrière sablonneuse.
Chiche, on y va ?
L ‘amour pourrait être contenu dans une chape de béton ? Non pas. L’amour pris en otage de la modernité ? Pas plus.
Assez vite j’ai le derrière douloureux à les voir le coccyx en appui précaire.
Le béton, non quand même, franchement, c’est un fâcheux contre temps, une faute de goût, diront certains ; d’autres y verront un jeu, une provocation ou un geste moqueur.
Pourtant ils ne se marrent pas, ne se moquent pas. Juste d’elle un petit sourire.
Le penchant de la tête, l’accroupi jusqu’à fesse dénudée, la main sur l’épaule, les autres sur les genoux pour se cramponner : c’est une affaire sérieuse. Le corps plié et replié, en équilibre sur le sacrum.
De plus près encore on devine quelques détails utiles pour nous. L’alliance au doigt de l’homme, une boucle d’oreille, des poils aux pattes, les yeux dirigés vers le photographe et le spectateur imaginé.
La casquette indique l’Amérique. En fait, c’est une visière avec un élastique arrière. Sinon, elle ne tiendrait pas sur leur tête. Par leurs formes, les lunettes de vue et de soleil indiquent les années 1950. Coquette pour ces années avec ses boucles d’oreilles et sa montre très fine. La proximité et les fesses à demi-nues surprennent pour l’époque. Une photo pour soi sans doute, pas pour les parents ! Des jeunes libérés, en somme.
« Nous ne craignons rien » semblent-ils dire. L’anneau est hospitalité. Un cercle où se coller, s’engager genoux devant qui disent : « donné l’un à l’autre quelle que soit la bulle ».
Notre amour est protégé en toute simplicité.