Photo prise de la fenêtre de mon appartement sur laquelle se reflète mon salon, liant ainsi le dedans et le dehors
Tendrement confiné.e.s
(Comme des flocons de neige : avec légèreté mais avec gravité)
Les premiers jours, j’avais peur. J’avais peur, et je sentais autour de moi la peur des autres bouillonner, chambouler et remuer. Mais au fond je trouvais ça normal. C’était normal d’avoir peur. Peur pour soi, peur pour les autres, et pour ce monde qui se transforme. Comment s’organiser, que faire, comment occuper son temps, comment s’impliquer. Tout est bousculé et on s’appelle, on en parle, on prend des nouvelles, on se questionne, on échange, on se rassure. Et puis rapidement, en quelques jours à peine, peut-être une semaine, tout retombe. Une routine s’installe, on recrée un rythme, un quotidien. Et puis on s’habitue. Les mots à la radio, les nombres de morts, les mesures prises. On s’habitue. On s’appelle moins, et quand on se parle, on reprend le pas des petites discussions futiles. La profondeur créée par le tumulte s’estompe. On se dit « j’espère que tout va bien pour vous et pour vos proches » comme on pouvait se dire : au revoir. On écoute les chiffres, encore. La radio s’invite à table, à chaque repas. Matin, midi, et soir. Et puis on l’écoute de moins en moins intensément. Elle est là, comme un bruit de fond. Comme dans l’enfance. On se détache.
Et au fond, je crois que c’est là que j’ai commencé à avoir vraiment peur. On s’adapte.
On se révolte, on craint, on a peur, on partage. Et on s’habitue. On force nos corps à rentrer dans ces petites boîtes d’appartements. Au début c’est dur, ça fait mal, au dos, aux jambes, au cœur. Et puis ça passe. On met en place des petites choses qui font que ça devient vivable. On aère, on s’étire le matin, on sort un peu. Mais de loin. On y met un rythme, une régularité, on force et on se force. Et puis ça marche. Ça retombe. Ces longues discussions alertes. Ces questions sur le monde et sa forme qui émergent dans l’urgence, l’empressement, la crainte et que j’ai vus tourbillonner, retombent. Doucement, tout doucement, comme des petits flocons de neige. Avec légèreté, mais avec gravité.
Et là, vraiment, j’ai eu peur. Peur que ce soit juste comme ça. Qu’on s’habitue. Qu’on n’en parle plus. Et puis que ça se termine, et qu’on s’habitue aussi à ce qui viendra après. De la même manière. Encore.
Parce que moi je trouve ça beau, quand on se retrouve, qu’on est ensemble, qu’on se serre, qu’on crée et qu’on partage parce qu’on trouve que tout ça n’est vraiment pas banal.
Louise Vallet ( étudiante M1- Master 1 Sociologie et Philosophie politique- Université Paris Diderot)
Davantage de contributions au journal collectif :
Journal collectif 8. Non confinement et rentabilité
Journal collectif 10. Une si fragile hospitalité, par Louise Chapas Marin